Ouverture de Doc à Tunis avec -Let’s make money- d’Erwin Wagenhofer

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Prêches/contre- prêches sur la mondialisation


Débuts tonitruants pour cette quatrième édition de docs à Tunis, avec -let’s make money- du réalisateur autrichien Erwin Wagenhofer. Une édition qui ambitionne d’être la vitrine d’un documentaire qui allie exigence artistique et engagement citoyen.


Crises, guerres, injustices et inégalités minent une humanité déboussolée et comme sidérée par l’acharnement de l’Histoire. Sortir de la sidération passe par une mise en intelligibilité du monde une fois ses maux identifiés. C’est ce à quoi s’attelle Erwin Wagenhofer dont le film se veut une investigation sur la mondialisation financière et ses ravages. Le film se présente comme une succession de chapitres d’un livre, chaque chapitre renvoyant à une question censée éclairer un aspect de la réflexion entreprise par le réalisateur. Celui-ci sillonne la planète, Singapore, l’Inde, le Burkina, la Suisse ; l’Autriche, les Etats-Unis, l’île de Jersey, constituent autant de stations du périple de Wagenhofer. Ces voyages donnent lieu à des rencontres avec des investisseurs, des chefs d’entreprises, des économistes, des journalistes, des sociologues et urbanistes. La mondialisation financière est multiforme et son champ d’action planétaire. L’interdépendance des économies mondiales fait que la faillite d’un fonds de pension aux Etats-Unis a des retentissements partout sur la planète. Si ses contrecoups sont perceptibles, le phénomène de la mondialisation se caractérise par une complexité telle qu’il nécessite une démarche patiente minutieuse et progressive. C’est ce à quoi nous invite « Let’s make money ». Au commencement, il y a les matières premières et la main d’œuvre, deux facteurs sur lesquels il s’agit d’agir toujours dans le sens de leurs réductions pour garantir le bien être des chefs d’entreprises et des consommateurs en Occident. Agir sur ces deux variables, c’est délocaliser et laminer les marges des pays producteurs, la caméra nous entraîne au Ghana où seuls trois pour cent des revenus de l’or reviennent au pays producteur et au Burkina-faso où le coton est vendu de moins en moins cher sur le marché mondial en raison des distorsions des prix provoquées par les subventions accordées à leurs « cotonculteurs » par les Etats-Unis. « Ils sont protectionnistes et nous demandent d’être libéraux » s’indigne un responsable économique burkinabé. Les conséquences sont visibles, pauvreté croissante des paysans, désastre écologique de la généralisation de la culture du coton.

Nous voilà à Singapore, en compagnie d’un responsable de fonds d’investissement qui vante les mérites de son activité qui aurait permis à ses yeux d’améliorer le niveau de vie des retraités et contribué à faire baisser les prix des biens et services. Discours froid et policé, de l’expert sûr du bien-fondé de sa démarche. A Chennai ( ex-Madras), c’est un industriel autrichien qui nous explique les raisons qui l’ont amené à s’installer en Inde ; faible coût de la main d’œuvre et la conviction qu’il en sera toujours ainsi en raison de l’impossibilité devant laquelle se trouve le gouvernement indien d’améliorer le quotidien de ses citoyens.

Peu importe si la quasi-totalité de la population de cette mégalopole de huit millions d’habitants s’entasse dans des bidonvilles, si les conditions de vie sont inhumaines, pour cet industriel, le mot d’ordre est de comprimer les coûts en faisant pression sur les salaires.

La thèse d’Erwin Wagenhofer est que cette dérégulation du capitalisme relève d’un phénomène planifié, pensé par un groupuscule d’individus réunis dans des coalitions qui se sont fixé pour objectif de favoriser dans l’ombre l’expansion du libéralisme, la société Montpélerin en Suisse constituée en 1947 par des entrepreneurs dont l’objectif était de promouvoir les idées du grand théoricien du libéralisme ; Hayek. D’autre part, le consensus de Washington dont les quatre recommandations, dérégulation des marchés, privatisation de l’industrie, compression des dépenses publiques, libre circulation des capitaux, constituent les principes fondateurs de la dogmatique néo-libérale matérialisée par les politiques d’ajustement dictées ici et là par la banque mondiale, politiques qui n’ont fait qu’aggraver la situation de millions d’individus de par le monde.

Le mérite de « Let’s make money » est de s’être donné le temps et les moyens de démonter une machine complexe aux ramifications infinies, le parti pris de l’éclatement de la structure du film voulu par le réalisateur est à l’image de la voracité sans limites d’un capitalisme débridé.

Un film fort et sérieux qui n’est pas exempt par moments, par un excès de didactisme que l’on pourrait comprendre par la volonté du réalisateur de clarifier certains aspects de sa démarche.

Le deuxième travers du film réside dans son volontarisme. Fort du bien-fondé de sa thèse, Erwin Wagenhofer n’a pas éprouvé le besoin de donner la parole aux sans paroles directement frappés par la crise. A l’exception de l’épisode du Burkina, où on voit une paysanne dénoncer son quotidien devenu invivable, le point de vue du réalisateur exprimé dans le montage et le cadrage se substitue à celui de toutes les victimes de la mondialisation. Privilégier le discours d’experts (économistes, sociologues, urbanistes) pour apporter la contradiction aux professions de foi des promoteurs du néolibéralisme en même temps qu’il rend possible une égalisation des registres du discours (louable en soi), induit une appropriation par le réalisateur de la parole de ceux qui souffrent entre autres d’être dépossédés du droit élémentaire d’exprimer par des mots l’étendue de leur douleur.

Ikbal ZALILA

source : Le Temps

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